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L’illusionniste Le photographe des volumes

Printemps 2008. En flânant à la Maison Européenne de la photographie, j’ai fait une rencontre bouleversante avec l’œuvre magistrale d’un illusionniste. Je ne suis pas sûr de m’en être tout à fait remis. Le cadre strict et plat d’un de ses clichés ne restitue jamais complètement la dimension de son travail, le clic photographique n’est que l’aboutissement d’une démarche profondément originale ; il faut avoir la chance de pénétrer l’espace d’une de ses œuvres pour en saisir toutes les dimensions, se déplacer dans un lieu qu’il a investi et réinventé pour comprendre la totalité de son art. Georges Rousse est un artiste absolu, tout à la fois photographe, plasticien, peintre, architecte, sculpteur, maître de l’optique et poète des ruines. Il édifie des univers singuliers dans des lieux à l’abandon, souvent voués à la démolition ; il crée l’espace, le volume, la couleur, et la beauté, là où il n’y a que perspectives brisées, déchéance ou vide. Paris accueille plusieurs de ses œuvres. Le travail de Georges Rousse m’a tellement marqué que j’ai accordé à un de mes personnages (Xhoza, Les Méduses) de pouvoir contempler une œuvre monumentale et parfaitement imaginaire de l’Artiste à Tokyo, une œuvre qu’il n’est possible d’apprécier dans toute sa mesure que du ciel, à l’aube, à bord d’un avion de ligne atterrissant à Tokyo... Georges Rousse est un artiste français né à Paris en 1947. Il intervient et expose son travail partout dans le monde.

Le liseur de vieux rêves…

J’ai découvert Haruki Murakami en 1992, avec « La Fin des temps » (Seuil) Haruki Murakami est l’un des rares auteurs dont j’ai lu la totalité des romans (dans leur traduction française ou anglaise), et dont je dévore les nouveaux livres dès leur parution. Ce premier livre intitulé littéralement « La fin du monde ou le pays des merveilles à la coque (Sekai no owari to Hādo-boirudo Wandārando) reste de loin mon favori. Il m’a fait pénétrer de plain-pied dans l’univers singulier de Murakami ; un univers peuplé de personnages étranges, terriblement attachants malgré leur part sombre. Je n’en suis jamais vraiment sorti. À peine entre-t-on dans un récit d’Haruki Murakami, ancré dans la réalité, qu’apparaissent des éléments ou des personnages magiques qui ne la remettent pas en cause, qui nous donnent à la contempler au contraire dans toute sa fascinante étrangeté. Tout semble aller de soi dans l’univers Murakamien. Même le saugrenu. En lisant, La Fin des Temps, j’ai cru d’emblée à la réalité magique de ce liseur de vieux rêves dans le crâne de licornes mortes. Parmi tous les êtres magiques de Murakami : oiseau à ressort, licorne, éléphant évaporé, «chose indéfinissable de la chambre 208", etc., l’Homme-Mouton est celui qui m‘a le plus influencé, au point que je l’ai emprunté à Murakami pour le faire évoluer dans mon univers et mes textes. Chacune des histoires surréelles de Haruki Murakami continue de vivre en moi, bien après les avoir lues. En les lisant, je passe sans efforts d’un univers à l’autre, d’une réalité à une autre ; j’ai l’impression de monter ou descendre le long d’une immense échelle de perception qui me fait visiter les différents états de ma propre conscience. Les livres de Murakami possèdent le pouvoir de tordre mon quotidien, de l’enchanter, et de le rendre paradoxalement plus réel et plus intime. Haruki Murakami est né à Kyoto le 12 janvier 1949. Il a reçu en 2016 le Prix Hans Christian Andersen de littérature pour l’ensemble de son œuvre. C’est d’ailleurs dans ce genre du « conte urbain » que volontiers je placerais cet auteur inclassable.

Borgès m'a tué...

Un jour de 1989, il m’a été fait don d’un livre essentiel, que je conserve précieusement et auquel je me réfère sans cesse, un livre au titre prophétique : Fictions ! Fictions a changé ma vie. Après l’avoir lu, je ne me suis pas seulement senti « plus intelligent » comme le prédisait Claude Mauriac, je suis « né » une autre fois, devant un horizon plus vaste, plus complexe, un horizon d’imagination, de rigueur, de poésie et de symboles. Or, moins de cinq années après ce don, Borges m’a tué ! Car, que peut écrire un jeune écrivain après avoir lu Borgès, dont l’œuvre contient toutes les autres œuvres, lues de toutes les façons ! Pendant plus de 15 ans, j’ai pratiquement cessé d’écrire. Cette mort était nécessaire et salutaire. Je dois à Borges m’a conviction d’artiste, d’écrivain, mon envie de recommencer à écrire, mon apprentissage de la rigueur et de l’humilité et la fascination de l’étrange. Il m’a donné la certitude que la fiction est plus puissante que le réel et que dans le chaos, il y a un ordre ; que tout est miroir de nous-mêmes, c’est à dire de l’Autre… Borges est mon maître en littérature, un aveugle qui m’a ouvert les yeux… Plusieurs de ses obsessions ressurgissent ça et là dans mon travail et mes écrits, comme si je participais à un infini poème dont il aurait écrit les premiers vers… Son œuvre, d’une tourbillonnante érudition, ressemble à un carnet de voyages. C’est grâce à lui que j’ai lu Cervantès, Adolfo Bioy Casares et Roger Caillois ; grâce à lui que j’ai marché dans les rues de Buenos Aires, au sens littéral et au sens littéraire. A Buenos Aires, j’ai arpenté les salles et les rayonnages de sa bibliothèque mais je ne dirai pas où j’ai trouvé son Livre de Sable, ni où je l’ai replacé…

J'aime les voyages et cet explorateur

Bien avant de lire ces Tropiques que l’auteur nous annonce tristes, j’avais naturellement entendu parler de Claude Lévi-Strauss et de ses voyages. Le livre à la couverture iconique figurait toujours en bonne place sur les étals des libraires et les conseils de lecture de nos valeureux enseignants. Il m’aura pourtant fallu 30 ans avant que, poussé par une curiosité confuse, je décide de l’acheter et le lire enfin. Si on me demandait aujourd’hui de sélectionner les 5 livres parmi les plus importants de ma bibliothèque égoïste à emporter sur une île, Tristes tropiques serait assurément du voyage ! Récit d’aventures, traité d’ethnologie, essai philosophique, ce livre est d’une richesse inouïe. Il est rare que je n’y fasse pas référence dans mon travail d’écriture. Mais ce qui continue de m'éblouir, c’est la langue ! A mes yeux, Claude Lévi-Strauss (1908 – 2009) anthropologue et ethnologue français, figure fondatrice du structuralisme et penseur digne d’un certain Michel Eyquem, est un des plus grands écrivains français. Un immortel.

Le poète intranquille

« Être nous-mêmes c’est n’avoir rien de commun avec ces choses extérieures qui s’écroulent, même si elles croulent sur ce que nous sommes pour elles. » Fernando Pessoa, in Le Livre de l’Intranquillité (2d édition intégrale en 1 volume, 1999) Voici un auteur et un livre qui ont changé ma vie. Pas une semaine ne passe, sans que je lise une ou deux phrases inspirantes de Pessoa. Le Livre de l'Intranquillité est en quelque sorte mon livre infini. Je ne l'ai pas terminé. Jamais je ne finirai de le relire... Fernando António Nogueira Pesso, écrivain, critique, polémiste et poète portugais (1888-1935),

Le Maître des « ômus »

Pourquoi restes-tu à la maison à regarder à la télé, alors qu’il fait si beau dehors ? Combien de fois ai-je entendu cette question sentencieuse. Une de mes raisons était que l’herbe de notre jardin ne serait jamais aussi verte que celle des fictions japonaises. Mon enfance a vu la naissance de l’âge d’or de la Japanimation. Je n’ai jamais cessé de regarder ces films à la fois exotiques, oniriques et transcendants. Parmi mes artistes préférés : Osamu Tezuka (Astro, Princesse Saphir) ; Mamoru Oshii (Ghost in the Shell), Satoshi Kon (Perfect Blue) et naturellement l’immense Hayao Miyasaki. Le film de Miyazaki qui m’a le plus marqué est sans contexte « Nausiccä de la Vallée du Vent », fable écologique et prophétique, dont les créatures fabuleuses (les insectes géants Ömus) et les lieux magiques (la Fukaï: forêt paradoxale toxique et purificatrice), continuent d’inspirer mon propre univers créatif. J’ai eu la chance de visiter le Musée Ghibli, l’hommage de la ville de Tokyo à Miyasaki et il y a quelques années, je me suis retrouvé au milieu d’un paysage de Hayao Miyazaki sur les flancs d’un fjord recouverts d’un sylve primitive ; des bouleaux aux troncs à éplucher, des souches recouvertes de mousses, des paysages sublimes, des eaux miroirs que ridait parfois la nage invisible d’un petit rorqual. Hayao Miyazaki né le 5 janvier 1941 à Tokyo, est une des mes "sentinelles" : dessinateur, réalisateur et producteur de films d'animation japonais, cofondateur du Studio Ghibli avec Isao Takahata.

Le père de Fantômette

Fantômette, c’est moi. Ou plutôt je l’ai été. Un de mes premiers émois littéraires, une de mes premières vies par procuration par le truchement d’un personnage crée par un autre écrivain. L’essentiel de notre vie est le fruit de notre imagination ; la réalité est une construction mentale et culturelle. Notre réalité s’élabore petit à petit à partir de la vie et de l’imagination des autres. Parmi les « sentinelles » essentielles qui m’ont accompagné dans la construction de ma personnalité et l’élaboration de mon imaginaire, il y a plus de personnages fictifs que de personnes réelles. Je dois à Fantômette beaucoup plus que je n’oserais l’avouer. Merci à son créateur, le génial Georges Chaulet (1931 – 2012) écrivain français et auteur à succès pour la jeunesse et à une de ses illustratrices, la talentueuse Jeanne Hives (1927 – 2019).

Travels with Fortune

O, combien j'envie les voyages de cette exploratrice. "Travels with Fortune" ou "Les Tribulations etc." dans la traduction française est le récit du premier et du plus extraordinaire des voyages de Christina Dodwell, sa première aventure africaine qui a changé sa vie. Et la mienne... Les voyages sont initiatiques pour ceux qui les ont vécus, mais aussi pour ceux qui les découvrent, à la clarté des lampes. Difficile de raconter l'ensemble des images, des émotions, des enseignements, des pensées qui émergent de la lecture d'un tel récit : la traversée épique d'un continent, à cheval, en pirogue, à pied, pendant trois ans, et toutes les rencontres et la solitude où commencent la découverte et l'invention de soi. L'écriture de Christina est riche, précise, colorée, pleine d'humour. Ce livre contient l'un des plus remarquables récits de voyages jamais écrits. Merci Christina, du fond du coeur, de l'avoir partagé. Je n'ai pas eu ton courage de partir à l'aventure, mais en vivant la tienne par procuration, tu m'as donné envie d'écrire mes propres histoires, mes récits de voyages oniriques. C'est un peu grâce à toi, Christina, que je suis devenu écrivain.

You Are My Sister

Nous sommes nés à 10 jours d’intervalle et 8.789 kms de distance, dans deux hémisphères et sous deux constellations voisines qui jadis n’en composaient qu’une seule, le mois et l’année où un Pablo recevait le prix Nobel de littérature et l'autre devenait le premier artiste exposé de son vivant au Musée du Louvre. 34 ans plus tard, j’ai entendu pour la première fois sa voix singulière, sa voix vulnérable et puissante, sûre et tremblante au timbre si particulier, au phrasé musical ; une voix transcendante qui disait avec mélancolie des mots transgressifs d’une violence inouïe : « j’espère qu'il y a quelqu'un Qui prendra soin de moi Quand je mourrai » Rarement une artiste m’aura autant bouleversé. Son nom spirituel est Anohni. Née Antony Hegarty, elle s'est tôt identifiée comme transgenre et à, force de courage, est devenue elle-même : femme, chanteuse, autrice, compositrice, musicienne, peintre, visual-artist engagée. Une artiste totale qui a changé ma vision du monde, de l’art et qui me donne chaque jour la force de poursuivre ma propre réinvention. Elle est la voix sublime des métamorphoses. A mes côtés, il y toujours eu ma sœur de cœur et de sang, la Sygelgaite de mon humble littérature. Et depuis la sortie de l'album « I Am a Bird Now » avec le groupe Antony and the Johnsons, Anohni est en quelque sorte devenue ma sœur mystique. Quand elle chante, elle me parle et je murmure les paroles avec elle : You are my sister And I love you May all of your dreams come true I want this for you They're gonna come true (gonna come true)

Lire en Oiseau

Le 23 avril 2021, le jour de la fête des librairies indépendantes, j’ai remarqué une affiche dans le métro qui faisait la promotion de la collection « Mondes Sauvages » des éditions Actes sud, en mettant en avant trois livres et trois auteurs. Cette collection « se veut un lieu d’expression privilégié à tous ceux qui mettent en place des stratégies originales pour être à l’écoute des êtres vivants. » J’ai aussitôt couru me les procurer dans la librairie de mon quartier et j’ai choisi de commencer par lire « Autobiographie d'un poulpe Et autres récits d'anticipation » de Vinciane Despret, paru quelques jours auparavant, le 07 avril. J’ai dévoré ce livre qui me hante encore. Et j’ai fait une rencontre mémorable avec une écriture savante et élégante, pleine de poésie, avec un univers qui oscille entre littérature d’anticipation, science et philosophie, avec une nouvelle autrice dont le nom semble traduire à la fois une communion avec la nature et une familiarité avec mon véritable prénom. "Autobiographie d’un poulpe etc." est l’un des livres les plus inventifs que j’aie lus. Il modifie le regard que l’on porte sur le monde et la façon dont on l’habite. Un autre de ses livres "Habiter en oiseau", paru dans la même collection en 2019 a confirmé tout le talent et la poésie de Vinciane Despret et amplifié le trouble salutaire que je ressens chaque fois que je parcours ses pages. Il n’est jamais trop tard pour découvrir un auteur majeur, une de mes sentinelles dans un monde qui n’en finit pas de nous émerveiller, à condition que l’on sache le contempler avec un regard comme le sien. Vinciane Despret est psychologue et philosophe des sciences belge, professeure à l'université de Liège et à l’université libre de Bruxelles. En 2022, elle a été invitée par le Centre Pompidou à accompagner sa programmation en tant qu’intellectuelle de l’année.